Comment tout a commencé avec l'huile de figue de barbarie
Quand SOUDAIN disais-je...
Un beau jour, dans le jardin de Béa, mon père sort de sa valise fraichement revenue du Maroc où il s'est installé, un flacon d'huile sombre, presque verte, et il commence son paragraphe par : "Suzanne, j'ai eu une idée".
Des idées, déjà à l'époque, il en avait... pas mal... j'irais pas jusqu'à dire trop, mais quand-même pas mal. Elles se soldaient toutes par la conclusion suivante : "plaque-tout, et viens, on travaille ensemble".
Ca faisait environ 802 fois qu'il me faisait une nouvelle proposition. La plupart était hors propos, en dehors de mon domaine de compétences (Suzanne, j'ai eu une idée : on va sortir une nouvelle forme de pantalons !), toujours étranges (Suzanne j'ai eu une idée, tu vas dessiner des motifs qu'on va imprimer sur des chaussons), toujours très faciles à mettre en oeuvre (Tu plaisantes ! C'est facile ! Il nous suffit de contacter l'ambassade de...) bref, mon père arriva ce jour-là avec, dans ses mains, le flacon plein de sa 803ème idée géniale qui allait révolutionner le monde.
Ma première pensée fut "ah ! Il a finalement compris où je me sentais à l'aise". Oui, les huiles, c'est ma partie. Je sais comment ça marche, c'est mes études, mon dada, c'est la nature, c'est bio, c'est médecine alternative, ça cadre bien avec mon personnage... en tout cas, plus que la forme d'un pantalon.
Je prends donc la posture de la spécialiste ès huiles, prête à me marrer un bon coup de sa nouvelle idée incroyable : "C'est quoi ça ?"
Je ne me souviens pas exactement de tout, et ça fait tellement de fois que je raconte cette histoire que je m'emmêle un peu : je ne sais pas si j'ai commencé à pouffer de rire à ce moment-là, précisément, ou si j'ai été assez polie pour attendre un peu avant de m'esclaffer.
Il avait trouvé une huile miraculeuse. Moi, en sous-titre, j'entendais "il s'est fait pigeonner comme jamais lui qui croit connaître toutes les ficelles".
Téléshopping en direct : Mon père était en fait Pierre Belmare, et face à moi, il étire son monologue vantant les mérites de son produit : "Cette huile est incroyable. Tu sais combien il faut de kilos de figues de barbarie pour en faire un litre ? Une tonne ! Elle lisse le teint, elle réduit rides et ridules, elle régule la sébhorée..."
Je me moque abondamment. "Bien sûr ! ton huile, c'est la panacée ! Elle est tellement miraculeuse qu'aucune de mes formations, aucun de mes cours, aucun de mes profs ni même de mes livres n'en parle. Mais toi, Ô Grand Papa, tu as trouvé l'huile avec un grand H". Là, c'est sûr, nous rions, ma condescendence et moi. Nous nous esclaffons même ! Les huiles, vous pensez, c'est MON domaine, et celle-ci, elle n'existe pas.
On ne devrait jamais se moquer de ses parents (même si parfois ils mériteraient). On devrait se souvenir qu'ils ont souvent une plus longue expérience que la nôtre, et mon père, pincé comme jamais me propose : "et ben essaye la au lieu de te moquer".
Ce que je fis. En bonne candidate téléshopping, histoire de l'enfoncer encore plus, je n'en mets que sur la moitié de mon visage. Il recommence. "Elle cicatrise, elle atténue le feu du rasoir, c'est un atout puissant contre l'acné, elle raffermit les tissus..." ça ne finira jamais. De toutes façons, ce projet ne m'intéresse pas, je ne veux pas travailler avec mon père, j'ai un cabinet, j'ai autre chose à penser, j'en ai marre de sa litanie. Pour montrer mon ennui profond ainsi que mon désintéressement total, je soupire, mets mes coudes sur la table, et pose mon menton dans mes mains. Et là. LA ! C'est net. C'est limpide. Au moment où mes mains se posent sur mes joues, le constat s'impose : ma peau n'a pas la même consistance à droite qu'à gauche.
Diantre. Me voici eue, c'est comme ça que tout a commencé... Et encore, vous n'en êtes qu'aux premières minutes de l'histoire !